Quelle(s) traduction(s) française(s) de la Bible faut-il préférer ?

Article de Timothée Minard

Nous avons la chance (ou la malchance ?) de disposer aujourd’hui de plusieurs dizaines de traductions françaises de la Bible. Face à cette offre, il est parfois difficile de se repérer. Quelle traduction française de la Bible faut-il choisir ? Y a-t-il des traductions meilleures que d’autres ?

Beaucoup de choses ont été écrites sur le sujet (voir les références en fin d’article). Je me contenterai ici de rappeler brièvement quelques principes clés pour aider à comprendre la problématique.

Y a-t-il des traductions plus « authentiques » que d’autres ?

La question de la traduction de la Bible est une question sensible. Pour le croyant, la Bible n’est pas un texte comme un autre : nous considérons que Dieu nous parle par ce livre. Or, si nous sommes francophones, c’est d’abord par le biais d’une traduction française que nous lisons la Bible (Dieu nous parle dans notre langue maternelle !). Par conséquent, lorsque nous découvrons que d’autres ont traduit différemment ces versets bibliques qui nous parlent tant, c’est forcément perturbant ! Et on en devient méfiant : telle traduction est-elle fiable ? Les traducteurs ne sont-ils pas influencés par « le monde » ? N’y aurait-il pas des Bibles plus « authentiques » (notre Bible préférée) que d’autres ?

Traduire c’est trahir

Autant le dire tout de suite : il n’existe pas de traduction à 100% fiable qui retranscrive exactement le texte original. Non que les traducteurs ne seraient pas fiables, mais parce que cela est tout bonnement impossible ! « Traduire c’est trahir » comme on le rappelle souvent. Chaque langue a son mode de fonctionnement, ses spécificités, ses expressions intraduisibles : aucune langue ne correspond strictement à une autre de telle sorte qu’on pourrait la traduire « mot à mot ».

Les traductions actuelles sont effectuées par des personnes compétentes

Cependant, à part quelques initiatives personnelles un peu farfelues, les versions françaises de la Bible ont été réalisées par des personnes compétentes. Les traductions modernes sont l’œuvre de sociétés bibliques ou de maisons d’éditions qui font appel aux meilleurs spécialistes : des spécialistes du grec et de l’hébreu bibliques, des spécialistes du monde de la Bible, des linguistes, et, souvent, des spécialistes de la langue française. Aujourd’hui, une traduction de la Bible représente un travail collaboratif d’environ une dizaine d’années.

De plus, ceux qui ont la charge de la traduction de la Bible sont généralement des croyants. Ils ne considèrent pas la Bible comme n’importe quel texte, et ils sont conscients de leur responsabilité vis-à-vis du reste de l’Église. Ils prennent donc leur tâche au sérieux !

En résumé, nous n’avons aucune raison de douter du sérieux des traductions modernes de la Bible. Mais alors, me direz-vous, comment expliquer les différences entre les traductions bibliques que nous possédons ?

Bibles protestantes VS Bibles catholiques

Un canon différent

Si les chrétiens s’accordent sur le canon du Nouveau Testament, ils ne s’accordent pas sur le nombre de livres constituant l’Ancien Testament. Les protestants ne reconnaissent traditionnellement que les 39 livres de la Bible hébraïque (ceux qui font autorité pour les Juifs), alors que les catholiques y ajoutent 7 livres et 2 suppléments (les Églises orthodoxes, orientales ou d’Éthiopie en intègrent encore davantage).

Quelques différences de traduction

Au-delà de cette différence sur l’étendue de la Bible, y a-t-il des différences concernant la traduction ? Certes, un traducteur ne peut pas aborder le texte biblique en faisant totalement abstraction de ses convictions, de sa foi, ou de son arrière-plan. Il est donc inévitable qu’apparaissent quelques traces d’influence doctrinale.

Une d’entre elles concerne la traduction difficile de certains emplois du verbe « sauver (grec : sôzô) » à la voix passive (ou moyenne). Pour certains passages, les traducteurs peuvent hésiter entre la traduction « ceux qui sont sauvés », « ceux qui sont en train d’être sauvés » ou « ceux qui seront sauvés » (voir Ac 2.47 ; 1 Co 1.18 ; 15.2 ; 2 Co 2.15). Si les traductions protestantes traduisent généralement par « ceux qui sont sauvés », les traductions catholiques traduisent plus souvent par un futur (« ceux qui seront sauvés ») ou parfois par l’expression (surprenante !) « ceux qui se sauvent » (Bible de Jérusalem).

De moins en moins de différences

 Toutefois, si les traductions anciennes pouvaient refléter des influences confessionnelles, c’est beaucoup plus rare au sein des traductions modernes. Grâce au dialogue œcuménique, les biblistes catholiques et protestants ont pu confronter leurs lectures respectives des textes bibliques de manière plus paisible que par le passé. De telle sorte que les traducteurs sont davantage conscients de leurs présupposés et que ceux-ci transparaissent beaucoup moins dans leur traduction.

Par exemple : Matthieu 1.25 est généralement traduit : « [Joseph] ne connut pas [Marie] jusqu’à ce qu’elle eut enfanté…». L’ancienne traduction liturgique (catholique) ne traduisait pas le « jusqu’à » et proposait : « [Joseph] n’eut pas de rapports avec elle ; elle enfanta un fils… ». Cette traduction évitait une difficulté pouvant remette en cause la virginité « perpétuelle » de Marie (selon l’Eglise catholique, Marie serait restée vierge toute sa vie). Toutefois, la Nouvelle Traduction Liturgique (2013) semble avoir rectifié le tir, et traduit désormais : « il ne s’unit pas à elle, jusqu’à ce qu’elle enfante un fils ».

Enfin, précisons que plusieurs traductions modernes de référence ont été effectuées par des comités interconfessionnels comprenant des spécialistes aussi bien catholiques que protestants (voire orthodoxes) : c’est le cas de la Traduction Œcuménique de la Bible (TOB), de la Bible en Français Courant ou de la traduction Parole de Vie (français fondamental).

Un texte de base différent

Certaines différences entre les traductions de la Bible s’expliquent par le fait que les traducteurs n’ont pas retenu le même texte hébreu ou grec pour leur traduction (à ce sujet, voir l’article sur la « critique textuelle »).

Le texte de l’Ancien Testament

Pour l’Ancien Testament, la plupart des traductions récentes se basent sur le « Texte Massorétique » qui est le texte hébreu traditionnel. Malheureusement, les plus anciennes copies complètes de ce texte datent d’autour de l’an 1000 après Jésus-Christ (soit environ 2000 ans après David !). Les découvertes des manuscrits de la mer Morte ont permis de montrer que ce texte représente une forme particulièrement ancienne et répandue du texte hébreu. Toutefois, certains de ces manuscrits révèlent une forme différente du texte hébreu. De même, des traductions très anciennes, comme la traduction grecque de la Septante, supposent par endroit un texte hébreu différent.

Par conséquent, si les traducteurs prennent le Texte Massorétique comme texte de base, ils vont par endroit retenir des variantes qu’ils estiment plus proches du texte original. Le nombre de variantes retenues dépendra des traductions : la Bible de Jérusalem est par exemple réputée pour faire davantage appel aux variantes de la Septante.

Le texte du Nouveau Testament

Pour le texte du Nouveau Testament, les traductions peuvent utiliser trois types de texte :

  • L’immense majorité des traductions françaises modernes se basent sur une édition du texte grec dite « critique » (ou « éclectique »). Il s’agit d’une reconstitution du texte original le plus probable, à partir de la comparaison des manuscrits disponibles. L’édition de référence est celle dite de « Nestlé-Aland ».
  • Les traductions protestantes anciennes dans la lignée de la Bible d’Olivétan (Bible de Genève, Martin, Ostervald…) se basent sur un texte grec dit « Texte reçu ».
  • La Bible Segond 21 se base sur un texte grec dit « Texte majoritaire ».

J’explique en détail les différences entre ces textes au sein d’un autre article de ce blog. J’estime, avec l’immense majorité des spécialistes, que le texte « critique » est le plus proche de l’original, mais qu’il ne faut pas exagérer les différences qui restent minimes.

Par ailleurs, même si la plupart des traductions modernes utilisent le texte de « Nestlé-Aland » comme texte de base, les traducteurs conservent une certaine liberté. Ainsi, on constate qu’ils choisissent par endroit de ne pas le suivre.

Par exemple, en 1 Corinthiens 13.3, le texte de Nestlé-Aland (et la plupart des spécialistes) pensent qu’il convient de suivre les manuscrits qui ont : « quand même je livrerais mon corps pour en tirer fierté ». Toutefois, un bon nombre de manuscrits grecs ont plutôt un texte qu’on traduit par : « quand je livrerais mon corps pour être brûlé ». En grec, la différence entre les deux verbes ne porte que sur une seule lettre. De façon surprenante, bon nombre de traductions modernes basées sur le texte de « Nestlé-Aland » ne le suivent pas sur ce point, et préfèrent le texte qui contient le verbe « brûler » (p. ex. Français Courant, Parole de Vie, TOB, Jérusalem, Traduction liturgique).

Des principes de traduction différents

Traduction littérale vs Traduction dynamique

Une des différences principales entre les traductions modernes s’explique par l’emploi de principes linguistiques différents. Sur ce point, deux grandes écoles s’affrontent :

  • Certains estiment qu’il convient de privilégier la langue source. On cherche à traduire en restant le plus proche possible de la forme du texte original : en employant un même nombre de mots, en respectant les tournures originales, en traduisant le plus possible un mot hébreu/grec par un même mot français, etc. Les versions utilisant ces principes sont dites « à correspondance formelle» ou « littérales ».
  • D’autres préfèrent privilégier la langue cible. On cherche à traduire en rendant le mieux possible le sens du texte original. Pour cela, on n’hésite pas à s’écarter de la formulation grecque ou hébraïque : on cherche d’abord à transposer le sens. Les versions utilisant ces principes sont dites « à équivalence dynamique» ou « fonctionnelle ».
Avantages et inconvénients d’une traduction à équivalence dynamique

La plupart des traducteurs modernes qui traduisent, par exemple, du français à l’anglais, privilégient le sens sur la forme. Une traduction mot à mot en anglais de l’expression française « il fait beau » n’aurait aucun sens (« it is making beautiful »). On traduira plutôt par « The weather is nice », ce qui n’a rien à voir d’un point de vue formel. On comprend donc facilement la logique d’une traduction à équivalence dynamique : le but d’une traduction est avant tout de transmettre le sens d’un texte !

L’inconvénient principal d’une telle méthode est qu’elle implique de faire davantage de choix sur le sens du texte original. Il arrive que pour certains passages, le sens d’un mot ne soit pas clair. Par exemple, dans le Nouveau Testament, le terme grec pistis peut signifier foi/confiance ou fidélité. Une traduction dynamique va donc traduire, selon le contexte, par foi ou par fidélité. Toutefois, pour certains passages, le contexte ne permet pas toujours de trancher et nécessite un choix : comment faut-il, par exemple, traduire pistis au sein de la liste des « fruits de l’Esprit » en Galates 5.22 ? Foi ou fidélité ?

Avantages et inconvénients d’une traduction à équivalence formelle

L’avantage majeur d’une traduction à équivalence formelle est de moins imposer un sens particulier du texte. Pour reprendre l’exemple de la traduction de pistis, une traduction littérale traduira toujours par « foi ». Elle laissera donc le lecteur décider du sens qu’il faut donner au mot, en fonction du contexte.

Une traduction à équivalence formelle aura aussi l’avantage de laisser transparaître davantage les répétitions d’un même mot, ou les jeux de mots de l’original.

L’inconvénient principal d’une telle traduction est qu’elle nécessite que le lecteur ait une certaine connaissance du vocabulaire biblique ou de son contexte. Par conséquent, elle entraîne plus facilement des mauvaises compréhensions du texte biblique. Un lecteur inexpérimenté ne saura pas forcément que là où il lit « foi », il lui faut parfois entendre « fidélité ». Il comprendra généralement de travers (ou de manière partielle) une expression comme « vivre selon la chair » ou « se repentir ».

Quelle Bible utilise quel principe ?

Chaque traduction de la Bible va essayer de trouver un juste milieu entre traduction littérale et transmission du sens (équivalence dynamique). Une traduction purement mot à mot serait illisible et incompréhensible. Une traduction aussi dynamique soit-elle ne pourra jamais éliminer totalement tous les termes techniques qui sont propres au monde de la Bible.

Toutefois, les traducteurs ne vont pas situer ce « juste milieu » au même endroit. Certaines seront beaucoup plus formelles ou littérales que d’autres ; et inversement.

Afin d’aider à se repérer parmi les traductions les plus courantes, je propose le classement approximatif ci-dessous. Ceci étant, il faut noter qu’il arrive qu’au sein d’une même traduction, certains livres soient traduits de manière plus littérale que d’autres (c’est le cas en particulier de la TOB).

A qui s’adresse la traduction ?

Un autre point qui explique les différences entre les traductions concerne celui du public ciblé. Le choix ici est plus un choix éditorial qu’un débat de fond sur le principe de la traduction. La question qui se pose est : dans quelle langue va-t-on traduire la Bible ?

S’adresse-t-on à des croyants de longue date, baignés de culture biblique ou à des non-croyants qui ne connaissent rien au monde de la Bible ? S’adresse-t-on à des français habitués à lire de la haute littérature ou au « français moyen » ?

Même si les traductions cherchant à employer un langage simple vont généralement utiliser « l’équivalence dynamique » plutôt que la traduction littérale, cela n’est pas toujours vrai. Par exemple, la Bible du Semeur utilise davantage l’équivalence dynamique que la Bible Parole de Vie, pourtant elle va faire appel à un niveau de français bien plus élevé. A l’inverse, la Segond 21 est assez littérale alors qu’elle utilise un niveau de français assez simple.

Conclusion : Quelle traduction de la Bible faut-il préférer ?

Mises à part les traductions réalisées de manière isolée par un individu ou un mouvement « sectaire », aucune des traductions courantes modernes n’est une « mauvaise traduction ». Toutes les traductions courantes et modernes sont globalement fiables et de bonne qualité. Chacune a ses intérêts et ses limites.

Le choix d’une traduction biblique dépendra donc de l’utilisation :

Pour la méditation ou la lecture personnelle, nous avons tendance à privilégier une Bible avec laquelle on se sent à l’aise. Celle-ci correspond souvent à « celle avec laquelle on a grandi ». En deuxième lieu, cela dépendra de nos exigences littéraires, mais aussi de nos a priori confessionnels. Toutefois, je conseillerais de changer de temps à autre de « Bible » en en prenant une que nous connaissons peu : cela peut permettre de renouveler la méditation de textes bien connus.

Pour l’étude, il est impératif de lire un même passage dans plusieurs traductions (à moins de lire le grec et l’hébreu). Il sera surtout important de consulter des Bibles utilisant des principes de traduction différents (équivalence dynamique ou formelle). Nous avons un grand privilège de disposer de nombreuses traductions de qualité en français : ne nous en privons pas !

Pour la lecture avec d’autres : on privilégiera une traduction qui correspond au niveau de langage de la personne ou du groupe avec qui on fera la lecture.

  • Avec des enfants : la traduction « Parole de Vie » sera excellente.
  • Avec des jeunes, ou avec des « débutants »: des traductions comme la « Français Courant », la « Semeur » ou la « Segond 21 » seront souvent plus faciles à utiliser
  • Pour une étude biblique avec des chrétiens « non-débutants »: on privilégiera une traduction à équivalence formelle comme la NBS, la Segond ou la TOB.
  • Pour une lecture publique non commentée (par exemple pour introduire un temps du culte ou un chant) : on privilégiera une traduction qui se lit facilement. Personnellement, j’utilise souvent la traduction « Parole de Vie ». Les catholiques utiliseront obligatoirement la « Traduction Liturgique ». Celle-ci peut s’avérer également utile pour des non-catholiques puisque la traduction a été pensée en vue de la lecture publique.

Source : Site de Timothée Minard

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